Interview Jean-Claude Dreyfus par Lucien Attoun

Date publication : 11 juillet 2009

Lucien Attoun : Quand je vous ai connu, c’était aux Champs-Elysées…

Jean-Claude Dreyfus : Ah oui, la Grande Eugène !


Vous aviez quel âge à l’époque ?

Je devais avoir 20 et quelques années. Un jour, avec des amis, j’ai été voir un spectacle de cabaret rue d’Argenteuil au Palais-Royal. Quand je suis sorti – j’étais assez extravagant quand j’étais plus jeune – j’ai dit à la dame du vestiaire en récupérant mon manteau en loup : « Je vais travailler avec vous » et elle m’a répondu : « Qu’à cela ne tienne, nous déménageons rue de Marignan dans un mois ou deux, venez nous voir ». Je ne savais pas qui était la dame à qui j’avais parlé, en fait c’était la femme du producteur. Peu de temps après j’ai été les voir. La Grande Eugène, c’était un spectacle de transformistes issus de chez Michou, c’est devenu un cabaret très élégant sur les Champs-Elysées. J’y ai passé sept années de ma vie. C’est là que j’ai retrouvé Jérôme Nicolin. Nous nous étions rencontrés plusieurs années avant quand, en tournée dans des écoles, je jouais Bélise , des Femmes savantes. Il était venu me parler, fasciné par le fait que je joue Bélise. Le hasard de la vie a fait que l’on s’est retrouvés à la Grande Eugène. Je faisais le personnage de la grande méchante : Erna von Scratch, lui faisait la jolie : Belle de May, Joseph Badabou jouait le rôle de la grosse un peu comique. Malheureusement, Jérôme est mort il y a un an et demi, Joseph il y a quinze jours. Enfin il ne reste plus que moi. Profitez-en !


Vous aviez envie aussi de travailler avec des metteurs en scène dits « sérieux » mais est-ce que vous n’aviez pas le sentiment parfois que l’image de la Grande Eugène vous collait trop à la peau ?

Ça n’est pas tout à fait ça. J’avais fait du théâtre avant la Grande Eugène, dans des petites compagnies. J’avais envie de faire du théâtre mais je ne savais pas trop comment m’y prendre. D’ailleurs les jeunes aujourd’hui ont les mêmes questions, je le vois bien, sauf que c’est plus dur pour eux que ça ne l’était pour moi à l’époque. Je ne savais pas comment m’y prendre, je n’avais pas les contacts qu’il fallait. Quand j’ai commencé à travailler à la Grande Eugène, tous mes camarades me disaient : « Fais attention, tu sais, les « emplois » !… » C’est un spectacle qui a eu beaucoup de succès. Deux ans après, on en a fait un deuxième et, curieusement, des camarades qui m’avaient dit « Fais attention » venaient passer l’audition… C’est moi qui avais eu raison. Je crois qu’il faut toujours faire ce que l’on sent. D’ailleurs, j’ai du nez parfois pour sentir ce qu’il ne faut pas que je fasse.


J’avais cru comprendre que votre vraie vocation - je vais faire un peu de provoc’ - c’était d’être chanteur ?

Ça n’est pas ma vraie vocation mais c’est une chose qui m’a toujours titillé. Il y a presque 20 ans, j’ai fait mon premier tour de chant à Bobigny. Là je viens de terminer un très beau spectacle que j’ai appelé « En toute sobriété »…


Ce qui est un comble pour vous !

C’est un clin d’œil. Dans la réalité, c’était quand même « en toute sobriété » dans la mesure où mes précédents tours de chant étaient très baroques. Là, c’est très simple, je chante devant un micro, comme les chanteurs. Je serai toujours plutôt un comédien qui chante, mais je chante quand même.


Un jour j’avais fait une soirée à France Culture en public et en direct avec Noëlle Renaude qui m’avait dit « Je veux absolument avoir parmi les invités Jean-Claude Dreyfus ». Devant ma surprise, elle m’a dit qu’elle vous avait écrit des chansons.

JCD (chante) Dans l’étang très reculé / Dans l’étang bleu a coulé / Un très bête jeune homme… (…) Ah / J’aime les narcisses ces pensées / Quand ils penchent leur cou….ronnes dentelée….. Quand ils tendent leur cu… pulent dorée…


Vous étiez en direct au studio, c’était un moment magnifique.

Philippe Minyana m’a aussi écrit une très belle chanson : Le Mâle détruit. Ou le mal de truies….


Pour continuer sur les images qui vous suivent… après Delicatessen, on ne s’en sortait plus avec le cochon ! C’était de l’art ou du cochon ?

C’était du lard, Delicatessen ! Je collectionnais les cochons déjà depuis 20 ans mais tout le monde a cru que c’était à cause de Delicatessen. En réalité, quand Jeunet et Caro sont venus me voir - c’est Jean Bouise qui devait faire mon rôle mais malheureusement il est mort, c’est tombé sur moi après, un bon hasard qui m’a bien plu - quand ils ont posé leur script, il y avait un petit cochon sur la couverture, je leur ai dit « Retournez-vous », il y en avait 300 derrière eux. Après, je m’en suis servi.


Ensuite il y a eu la publicité Marie.

Oui, on ne se débarrasse de rien ! Cela a duré 16 ans et j’en entends encore parler aujourd’hui, 10 ans après. C’était une aventure rentable, et qui me permettait de dire non à des projets qui ne me plaisaient pas.


Comment s’est faite la rencontre avec Michel Didym et Emmanuel Darley ?

Michel m’a invité à la Mousson d’été il y a deux ans et demi, pour lire deux textes, dont Le Mardi à Monoprix d’Emmanuel Darley. Quand j’ai découvert le texte, j’ai adoré. Je connaissais le travail de Michel, mais on ne se connaissait pas bien. Avant d’aller à Pont-à-Mousson, en me baladant, j’ai trouvé sur un marché provençal une robe, qui est restée dans le spectacle.


Puis cela a été repris, dans des lieux différents, et Micheline et moi l’avons vu à la Mousson d’été en 2008.

Oui, quelques mois après, je l’ai joué à la Mousson sur l’eau, sur un bateau devant 120 personnes, puis dans une grande salle devant 700 personnes.


Je me souviens quand vous avez fait votre entrée, avec cette robe, on aurait pu se dire : « Est-ce qu’il va ajouter quelque chose ? Est-ce qu’il va en faire un peu trop ? » Mais ces questions ont été balayées en trente secondes. C’est-à-dire que Jean-Claude Dreyfus était d’une délicatesse énorme, en disant, en somme : « Je ne suis pas celle que vous croyez ».

Oui, c’est un personnage tout en émotion, en sensibilité. Mais en fait, au moment de la Grande Eugène, même si c’était du cabaret, on était aussi d’une grande sévérité. Le deuxième spectacle que l’on a fait avait eu un peu de mal a prendre, du a la simplicité des maquillages : on avait décidé de faire sobre. Les gens étaient très surpris, et ça a eu du mal à démarrer : tout d’un coup ils ne voyaient plus « les travelos », mais des personnages qui venaient plus d’un théâtre dans le style du théâtre Nô, d’un théâtre élégant et arrogant, mais très vite ils ont compris et suivis … Là, avec Michel on est parti vers une chose assez subtile... je n’aurais pas voulu aller ailleurs non plus.


Au fait, qui est Marie-Pierre ?

Marie-Pierre ? C’est le fils de deux personnes qui vivent dans une province, et qui au cours de son enfance a réalisé qu’il n’était pas vraiment fait pour être un garçon. Il a dû prendre un peu de temps pour réaliser sa transformation, pour être telle qu’elle apparaît. On va dire quand même que je suis une dame d’un certain âge, de mon âge en tout cas. Donc il a dû prendre un peu de temps. Ses parents et surtout son père n’ont pas bien compris et surtout accepté comment Jean-Pierre était devenu Marie-Pierre. « Papa » n’arrive pas bien à saisir cette réalité : « Jean-Pierre ! Mais tu pourrais au moins mettre un pantalon Jean-Pierre. Tout de même. Un pantalon. » Sa mère vient de mourir, Marie-Pierre est partie vivre à 80 kms, dans une autre petite ville. Là, elle est comme elle est, « telle quelle », comme elle dit. Elle vit sa vie de femme, même si on la regarde parce qu’elle est grande, parce que je ne sais quoi... En tout cas, personne ne l’a connue avant, elle est intégrée. Dans la pièce, elle revient dans la ville de son père. Elle aime son père malgré tout, elle vient régulièrement lui faire sa vaisselle, sa cuisine, son ménage.


Ses courses, le mardi à Monoprix.

On descend dans la rue où on croise des regards qui ont connu ce petit garçon avant, le père a honte, il marche derrière. C’est un vrai propos sur l’exclusion. D’ailleurs depuis deux ou trois mois, Madame Bachelot - qui peut-être elle-même d’ailleurs… je me suis posé la question… mais, on ne sait pas - a dit que la transsexualité n’était plus une maladie mentale. C’est officiel maintenant : les transsexuels – et j’en connais quelques-uns – ne sont plus des malades mentaux. A savoir quand même que les homosexuels, c’est depuis 1983.


On progresse…

A petits pas…


Un chose qui me frappe c’est qu’Emmanuel Darley ait appelé son héroïne ou son héros Marie-Pierre : en l’entendant, dans le spectacle, je pense immanquablement à Marie-France.

La merveilleuse Marie-France, que je connais bien d’ailleurs. Et qui est une magnifique actrice.


Magnifique ! Claude Régy l’a dirigée superbement . C’est une très belle femme qui s’était fait opérer au Maroc je crois.

Elle est une très belle femme, une vraie femme.


Il y a une belle invention de Michel Didym dans le spectacle, c’est la présence du contrebassiste à vos côtés, tout en blanc, un peu ambigu.

Oui : Philthi – Philippe Thibault - qui est comme un ange, de cabaret. Mais dans ma prestation, même si j’ai des rapports’’musicaux’’ avec lui, il n’existe pas……


Lui a des rapports avec sa contrebasse.

Absolument, qui prend beaucoup de place ! En même temps on joue ensemble, c’est un duo musical. Michel travaille souvent avec Philippe Thibault, je pense qu’il se doutait que l’on allait bien s’entendre. J’aime bien dire des textes avec de la musique. Là, j’arrive aujourd’hui de Nantes, on a fait un opéra rock autour de la vie d’Anne de Bretagne, c’était génial, je faisais la narration, il y avait 200 musiciens, c’était grandiose !


Le Mardi à Monoprix démarre la saison 2009/2010 avec une très belle tournée.

De septembre à mi-janvier. Et en novembre, nous sommes à Théâtre Ouvert. Je pense que c’est le lieu idéal, parce que c’est un lieu de culture et d’auteurs contemporains, et aussi parce que c’est à Pigalle, que c’est à côté du Moulin Rouge ! Je trouve que c’est très bien pour moi de faire le lien.


C’est amusant, dans les deux spectacles que présente Michel Didym à Théâtre Ouvert cet automne, La Séparation des songes – avec Julie-Marie Parmentier – et Le Mardi à Monoprix – avec Jean-Claude Dreyfus – on a deux solos… un one-woman show, et un one-man show.

Deux one-woman show ! En tout cas j’espère qu’en venant jouer ici je vais avoir un Molière de la meilleure comédienne !


Transcription : Valérie Valade

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