Du cochon considéré comme l'un des beaux-arts

Année 2005

La passion porcine de Jean-Claude Dreyfus est de notoriété publique. Le comédien entretient depuis plus de vingt ans une complicité fraternelle avec le cochon, qu'il chante (De porc en port), vénère et collectionne avidement. C'est son amour pour le noble animal, trop souvent décrié, que célèbre Jean-Claude Dreyfus dans cet ouvrage. Après avoir évoqué, avec toute sa poésie et sa truculence, la profondeur des relations qui le lient au cochon, il laisse la parole aux écrivains ayant évoqué et célébré dans leurs pages les vices et vertus des truies et autres verrats.

De La Fontaine à Raymond Cousse, en passant par Alexandre Dumas, Lewis Carroll, Paul Claudel, Robert Desnos ou Boris Vian, nombreux sont en effet les poètes, artistes et gastronomes qui ont loué ce "pélican de l'adolescence littéraire", comme le nommait Léon Bloy. On retrouvera ici les plus belles pages qu'ils ont consacrées au cochon, illustrées de photographies représentant quelques-unes des pièces les plus étonnantes de la collection porcine de Jean-Claude Dreyfus.

Extrait :

"Ça va de soie

Dans le Rose, sous la boue comme de l’argile qui casse et montre les failles de sentiments proche de l’humain, est le porc, le sale cochon. Très et même peut être trop proche de nous et tant semblable…. Pas de rejets tout peut cicatriser…. La peau se mélange, la soie est belle sous les caresses de l’homme qui ne voit rien ! Tous les Organes fonctionnent à nos corps.

Mais la sensibilité de nos amis ne parvient jamais à la hauteur du don qu’il nous offre.

Pourrait-on sauver le cochon en se fondant en lui ? Il ne sait pas que ses cadeaux réveillent un mort, rectifient la vie, et tente de se faire aimer. Pour être banni par d’obséquieuses hordes de naïfs, jouets d’une « société enfant » et diabolique…Qui voit et sent le verrat sur l’homme au groin majuscule, greffé sur le visage du plus grand collectionneur de souvenirs d’histoires cochonnes, tout est si bon dans le goret même le cochonnet ! Hé oui, j’en joue aussi, ce fut précisément le clou de ma dernière exposition, façon synthétiquement asiatique, zen, la recherche définitive de l’amour du corps, dans sa forme sensuelle, sardanapalesque et d’un érotisme presque comique - en tout cas d’une lucidité inébranlable qui souvent aide l’acteur, truchement d’une œuvre littéraire, à distraire sa façon d’interpréter. Le Cochon est une sorte de coach, de drain essentiel a la pensée politique de l’art.

Et du Lard, je n’en manque plus, il entoure toute ma vie depuis plus de vingt ans, paraît-il j’avais un caractère digne de notre alter ego, je n’ai pourtant jamais rencontré de porc de mauvaise humeur, mais souvent goguenard, portant la gaieté toute sa vie jusqu'au moment terrible et fatidique que chacun connaîtra – l’ultimatum que l’homme lui inflige. C’est la Mort. Pas celle que nous vivrons, la nôtre sera paisible ou violente, subite ou de longue haleine, enfin plus ou moins chaleureux le départ vers les vers sous le vert champ piétiné : quand ils ne sont pas dans les camps batterie, le verrat et sa truie attendent leur heure précoce dès que la masse atteindra sa cote de mort - la cote d’amour de la tranche de rire que me provoquait Daisy, cette femme moderne et d’un autre temps, puisqu’elle fut ma grand-mère paternelle, en pantalon et pinceau a la main, parlant parfaitement l’Hébreux, peignait les scènes de la vie courante et leurs paysages avec, dans les pâtures les êtres bannis par les démences religieuses. Bien que la dinde jambonneuse serve de supercherie et tente de faire passer Les Vessies de porcs pour des lanternes pratiques, mon aïeule sans arrogance savourait les tranches cuites et recuites de la partie charnue au fumé fade et délicieux de mon animal tant affectionné, et mise a part, la mise en bouche de ces feuilles roses si délicates, Daisy ne se serai jamais laisser tenter, des pieds a la fameuses « tête de cochon », ni même de sombrer dans le merveilleux fromage de tête.
Chevalier de l’hommage à la fête de ce dit fromage, en tête de toutes les meilleures charcuteries de notre pays, je fus intronisé voici quelques années dans le cadre monumental de la plus grande ferme, non pas la parodique, qui ne mettait ni en valeur ni en honneur le monde rural, mais la ferme des fermes qui, en trois semaines réunit les plus beaux spécimens de toutes races, sortes de stars étalonnesques de l’hexagone. Quelle beauté tout ces maîtres cochon, mâles et femelles, servant a reproduire, parce que leur soie, leurs poids, et les formes aguichantes de chacun en font des vedettes, des modèles de puretés dans le purin propre de leur carré.

Une anthologie du porc n’est pas facile à gérer, énormément d’histoires furent déjà contées, depuis les lustres qu’il est maltraité ou adulé, tout ou presque a été narré, fantasmé, inventé autour de ce dieu de rondeur qui trop souvent impressionne et même fait peur. Amateur de la bête sous toutes forme, sauf sur pied, car n’étant pas Américain je ne conçois pas la domesticité en cité urbaine d’un être qui trottine sur le haut de ses petits sabots, foulant le bitume avec un nœud rose en étole, je me suis groin-en-moins glissé dans divers aventures et ai relaté sans frelater jamais la réalité, mais avec intérêt, la vie par exemple de ce cochon de Gaston, grand truffier sous les glands, maître dans la recherche de cet or de la Bouche, chez qui cette prospection devenait une drogue, similaire au dog des aéroport qui un pied sous terre déniche la matière rare, l’amie des omelettes du Quercy.
Ou bien avec horreur j’ai décris le chemin inévitable du cochon de batterie, celui a qui on ne demande pas d’avoir du nez, mais qui naît mort. Parcours vraiment immonde pour un être normalement constitué, et encore bien pire pour un amoureux invertébré et invétéré de la race la plus brillante, après l’homme et juste avant le rat. Ce fut une réelle épreuve de commenter ce document, dit de terre et de vie, de gloser le parcours sans issue d’un agglomérat de masses gavées pires que les oies pour ne donner qu’une couenne lourde et grasse sans goût, même pour ma divine grand-mère, d’entendre dès la naissance les eaux chiâlantes, tout au long d’une vie programmée, sachant qu’ils ne feront pas de longs os, une tragédie banale qui flaire trop les horreurs reproduites depuis des cycles de siècles. L’usine portuaire qui emporte les pièces-porcs de la porcherie concentrationnaire à la boite de conserves ou à l’emballage pas emballant des grandes suroffre, nous suspends, pareils aux philosophes, à la balançoire ridicule de la production intensive, celle qui pourrie l’épopée contemporaine.
Il m’a également été proposé de jouir du grand plaisir de narrer la mise en valeur du trognon petit Babe, celui qui se prenait pour un chien de pâture, celui qui par son intelligent caractère a fait craquer des millions d’enfants et remis dans le crâne des adultes, pour un moment ludique, notre ami sur la sellette de la bonne humeur et de la décence.

Tour de Cochons, L’Amuse de Soie, puis De Porc en Port ou A Fleurs de Pores ont enchanté les moments justement chantés de ma vie. Le mal détruit, le male des truies, le mal des truies, le male détruit, regarder mon jarret avant regarder mon jarret arrière mais pas mon jambon qu’est derrière, le transfert par les mots suscité à Ph.Miniyna me portait vers cet être indéfini, dont la souffrance et la lucidité menait mon tour de chant. Caché sous un masque Africain, sorte de cagoule de bois peint et de paille, le corps de l’homme dessous pouvait raconter toute l’horreur de la bête face a celui ci. Le mélange se fondait dans le tourment et le tourbillon des deux vies pour finir par crier « mon pied je le garde et je vous largue »

Et pourtant l’importance de ce rose boueux, import ou export, mais avec en tire-bouchons un » C » en queue de mots, qui donne de la joie aux enfants de tous ages - les trois petits porcelets bercent encore le souvenir des temps studieux où la découverte des lettres pataugeaient dans la fange de mes premières rédacs. Mes trois gardes du corps me protègent et me suivent dans le moindre de mes déplacements. Les femmes de chambre partout où je parais, sur scène ou sur pellicule, autrement dit en tournées, dans les auberges qui accueillent mon parcours de saltimbanque, pour reposer cette grande dépouille de cochon fatigué, et s’étendre pour s’éteindre un moment, jusqu’au toc-toc infernal du « on peut faire la chambre ? », en conséquence ces dames qui visitent l’antre provisoire et se parfument de mes essences et de mes huiles, sont surprises de pouvoir converser avec mes amis disposés un peu partout, elles deviennent des princesses de bande dessinées et ménagent tout en devisant avec chacun d’eux, je le sais, ils me le racontent et préfère certaines a d’autres. A Milan ils me l’avaient nommée Principessa Clotilda, une grande femelle fringuée de noir, très bien balancée, avec des yeux de braise, qui, la serpillière en main, à quatre pattes dans la salle de bain, fredonnait aï hi aï ho je rentre du boulot…. Impromptu j’étais revenu, surprenant la belle laveuse entourée de ma collection itinérante, sur la pointe des pieds je me suis éclipsé laissant le rêve opérer, et chaque jour de mon long séjour grâce à mes porcs attachant, Roberta de son vrai nom, vivait en marge de toutes réalités, dans l’espace de la remise sur pied de ma porcherie.

Plus de vingt années de complicité avec la race, la rondeur, la sensualité, et l’intelligence fortunée de ces tirelires sans sous, dans mes soues lavées par des dames sexys, de brocanteurs qui tendent le bras en déclamant, celui-là je suis sur que vous ne l’avez pas, et me proposent une copie, déjà en ma possession en trois exemplaires - car la base est de ne jamais dépasser le trio fameux de l’enfance - puis les ribambelles d’artistes, créateurs ayant le même sujet d’inspiration, collectionner est devenu diabolique, jamais il ne sera possible de freiner l’envie névrotique de posséder tout les cochons du monde et même des autres galaxies, les nuages même prennent des formes porcines et la pluie sur mon groin choie pareille à des grêles lourdes comme des sorbets de larmes chaudes, qui s’achèveront dans la pâture de celui qui finira dans nos assiettes. Les stances à la constance de l’être raffiné, qui ne sait qu’à l’ultime moment qu’il est éphémère et périssable, ce chant d’amour que nous vous livrons dans ce livre de cochonnailles est à déguster avec passion et sans modération car une fois pour toute dans le cochon tout est bon, même la cochonne ! L’altruisme de la truie et de son verrat orientent leur don du sacrifice, au delà de la vulgaire tranche de jambon aseptisée, sous plastique code barre et date de fin de course."

Auteur : Jean-Claude Dreyfus
Editeur : Cherche midi

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